Auteur : yasminehugonnet

VIDY+ Les Porte-Voix : rencontre entre Yasmine Hugonnet et Claudine Cohen

Théâtre de Vidy

Un podcast d’Eric Vautrin avec Yasmine Hugonnet et Claudine Cohen
à l’occasion de la création de « Les Portes-Voix – Cabaret ventriloque »
au Théâtre Vidy-Lausanne

Vidy, 10 novembre 2022 : la veille, la chorégraphe Yasmine Hugonnet a créé Les Porte-voix – Cabaret ventriloque, un spectacle entre danse et ventriloquie.
La paléontologue et historienne des sciences française Claudine Cohen est venue assister à la première du spectacle. La chorégraphe s’est en effet inspirée de ses recherches pour créer Les Porte-Voix.

Car dans celui-ci, Yasmine Hugonnet s’intéresse à l’histoire de la ventriloquie, débutée avec la Pythie de Delphes, en puisant dans les textes de Diodore de Sicile ou de l’Abbé de La Chapelle. Ce dernier ayant publié au XVIIIe siècle une enquête sur cette pratique, lié à l’étrange, au miraculeux, à une sagesse intuitive aussi, au ventre et à l’intériorité, et bien souvent aux femmes.

Dans Les Porte-Voix, la chorégraphe rapproche ainsi l’histoire des représentations sociales, culturelles ou scientifiques de la ventriloquie et des femmes, et notamment elles induisent ou assignent une place, un espace, des possibles, aux femmes, dans la vie collective.

Quatre interprètes, toutes et tous danseurs-danseuses et ventriloques, évoluent dans un espace conçu par la scénographe Nadia Lauro, qui ressemblent à des parois de grotte blanchies ou à des os fossiles et immenses. L’histoire de la ventriloquie devient peu à peu l’énigme d’une représentation comme ventriloquée par une autre, celle des femmes, représentées près des foyers, des cuisines et des enfants, dès la préhistoire, sans autre raison que l’idéologie patriarcale des scientifiques qui ont produit ses représentations.

Puis le spectacle semble formuler une hypothèse: comme le suggère l’autrice Ursula Le Guin, nous avons l’habitude de valoriser l’arme ou l’outil, accessoires des héros, par rapport au panier, qui sert à rassembler et à ramener. De même, nous valorisons spontanément un corps ou une voix qui envoie ou émet par rapport à celle ou celui qui reçoit ou accueille – à la façon de la voix du ventriloque qui agit le corps qu’il fait parler.

Mais le rapport entre danse et ventriloquie permet de tenter de troubler ce schéma trop simple et pourtant si ordinaire. Car si nous accordons de la valeur, si nous reconnaissons comme une présence noble donc, ce qui contient, rassemble, rapporte ou reçoit, alors une parole, un geste, devient non plus une affirmation, une direction, mais un partage, une transmission, ou même une « transformission », comme dit l’archéologue Laurent Olivier, une transmission-transformation, une occasion de création dans laquelle chacun·e à sa part.

C’est entre autres ce que vont évoquer ensemble Yasmine Hugonnet et Claudine Cohen.

Claudine Cohen est titulaire de la chaire biologie et société à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et enseigne à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris. Paléontologue, elle est également philosophe et historienne des sciences. Elle s’est notamment particulièrement intéressée aux représentations des femmes de la Préhistoire : c’est la première à avoir déconstruit les représentations genrées et sexuées pour la préhistoire occidentale, montrant combien les femmes préhistoriques ont été représentées de façon caricaturale et le sont parfois encore toujours aujourd’hui, dans les représentations populaires et scientifiques de cette époque.

Ce matin, lendemain de la première de Les Porte-Voix – cabaret ventriloque, nous retrouvons Claudine Cohen et Yasmine Hugonnet pour échanger sur le spectacle.

Arts Mouvementés, la compagnie de Yasmine Hugonnet
yasminehugonnet.com

Claudine Cohen a récemment publié:
– La femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale, Paris Belin Herscher [2003] 2020.
– Femmes de la préhistoire, Paris, Belin 2016 – réédition poche coll. Texto Tallandier [2019] 2021

Les Porte-Voix, Danser canal historique

« Les Porte-Voix (cabaret ventriloque) » de Yasmine Hugonnet

L’art de feindre surprenant, intelligent, fascinant et poétique. 

Qui n’a pas le souvenir des ventriloques de notre enfance où un artiste donnait vie et surtout la parole à une marionnette qu’il manipulait ? Depuis cette époque, la ventriloquie a évolué au sein de sphères différentes et Yasmine Hugonnet le prouve avec Les Porte-voix, une pièce conçue tel un récit vocal et chorégraphique. 

Á l’Atelier de Paris, dans le cadre de la biennale de danse du Val-de-Marne, trônent sur le plateau différentes sculptures immaculées blanches qui semblent avoir été érodées par le temps.  

En s’inspirant de l’ouvrage Le Ventriloque, Ou l’Engastrimythe, de l’Abbé de la Chapelle (1772) etd’extraits de textes et conférences de Claudine Cohen, spécialiste de la paléontologie et de la Préhistoire, Yasmine Hugonnet déroule une histoire qui débute avec les illustrations découvertes dans la grotte Chauvet. 

Entourée par Matthieu Barbin, Ruth Childs et Madeleine Fournier, la danseuse et chorégraphe démontre que, contrairement à l’homme aventurier, la femme est peu présente dans ces magnifiques dessins. 

Galerie photo © Anne-Laure Lechat

Ces explications sont très habilement exprimées sans bouger les lèvres alors que l’on entend parfaitement bien les phrases des quatre interprètes. De fil en aiguille, ils se déplacent gracieusement dans une chorégraphie du corps composée de mouvements de bras faisant songer parfois à la langue des signes. 

L’intrigue évolue à la frontière du spirituel et du politique par le biais de la voix qui voyage entre les différents corps. Dans un style surréaliste, grognements, chants, voix d’enfant s’emparent aussi de thèmes sur l’amour, le féminisme et la crise climatique. 

Tout fait réfléchir, car on finit par s’interroger sur l’origine des sculptures qui, en fin de compte, déterminent certainement des ossements du visage en corrélation avec la notion de ventriloquie. 

Dans une ambiance empreinte de pureté née des lumières de Dominique Dardant et de la musique originale de Michael Nick, les langages parlés, chantés et dansés se juxtaposent, se superposent, se séparent, rebondissent, puis se réunissent à nouveau. 

Les visages étant quasiment inexpressifs, il est impossible de savoir d’où proviennent les sons car les lèvres des artistes ne bougent absolument pas. Bien qu’on s’attache à scruter attentivement les respirations, cette tendance contradictoire donne le sentiment de retrouver la curiosité de son âme d’enfant. 

Ce fascinant et surprenant cabaret ventriloque qui voyage à travers le temps est d’une rare intelligence et l’exceptionnelle technique vocale et physique émerveille et bluffe le public par son originalité et sa précision. Un moment très rare !

Sophie Lesort

Spectacle vu le 14 mars 2023 à l’Atelier de Paris dans le cadre de la biennale de danse du Val-de-Marne.

Biennale de danse du Val-de-Marne, jusqu’au 6 avril 2023

Les Porte-Voix cabaret ventriloque

Chorégraphie, conception : Yasmine Hugonnet  
Interprètes : Matthieu Barbin, Ruth Childs, Madeleine Fournier, Yasmine Hugonnet  
Textes : extraits de Le Ventriloque, Ou l’Engastrimythe, Abbé de la Chapelle (c.1772) ; Extraits de conférences et textes de Claudine Cohen : Yasmine Hugonnet et les interprètes.  Traduction des textes : Sarah-Jane Moloney  

Collaboration artistique et composition musicale : Michael Nick
Conception scénographie et costumes : Nadia Lauro  
Collaboratrice à la dramaturgie : Stéphanie Bayle  
Regards & replay : Jeanne Colin  
Assistantes : Lisa Vilret, Sarah Bucher  
Direction technique : Adrien Gardel  
Création lumières : Dominique Dardant  
Régie Plateau : Sonya Troillet
Réalisation scénographie : Nadia Lauro, Charlotte Wallet, Mickael Leblond, Marie Maresca, Nino Podalydès  
Réalisation costumes : Théâtre Vidy-Lausanne

https://dansercanalhistorique.fr/?q=content/les-porte-voix-cabaret-ventriloque-de-yasmine-hugonnet

La Peau de l’Espace, RTS

Spectacles 

Publié le 25 novembre 2021 à 13:44

 

« La peau de l’espace », fascinante danse parlée de Yasmine Hugonnet

La danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat  - DR]

La Peau de lʹEspace / Vertigo / 5 min. / le 23 novembre 2021

Au Théâte de Vidy-Lausanne jusqu’au 28 novembre dans le cadre du Festival Les Créatives, la danseuse et chorégraphe vaudoise Yasmine Hugonnet explore les possibilités et mystères de la proprioception. Un solo dansé et parlé à vivre comme une méditation.

Une scène vide et un silence parfois troublé par la rumeur du vent. La baie vitrée de cette salle de Vidy s’ouvre en effet sur le bois attenant, magnifique décor de branches qui se balancent et perdent leurs feuilles. Arrive Yasmine Hugonnet, un mini micro collé sur sa joue. La voici qui fend l’air, désigne l’espace et semble aux prises avec des forces invisibles.

Chacun de ses mouvements s’accompagne du son de sa propre voix. Est-ce le mouvement qui provoque le son ou le son qui s’exprime par un mouvement? Peu importe. Sifflement, explosions, chuintements, souffle… tout l’éventail des sonorités possibles émises par une bouche humaine donnent à entendre cette danse aux airs de yoga ninja.

>> A voir, présentation du spectacle: « La peau de l’espace »

Les mouvements deviennent intentions

Et bientôt, elle parle, Yasmine Hugonnet. Beaucoup. D’une voix douce dont la sensualité retient l’oreille. Elle ne cesse néanmoins pas de danser. Ce sont ses pensées que l’on entend. Les mouvements deviennent intentions, réflexions, constats, exploration, méditation. Ce n’est pas une conférence sur le métier de danseuse, c’est bel et bien un spectacle qui donne à écouter et penser autant qu’il donne à voir. Comme si désormais, danseuse et public se trouvaient unis par un même émerveillement devant l’infinité des mécanismes neurologiques qui nous permettent de bouger, d’agir, d’être actifs ou passifs et d’impacter un espace donné.

Décrit ainsi, le spectacle « La peau de l’espace » peut vous paraître cérébral ou alors prompt à réinventer l’eau chaude. Oui, un corps ça bouge, une danseuse ça danse. Et alors ? Tout n’est pas si simple et la dernière création de la chorégraphe vaudoise en est la fascinante démonstration.

La proprioception, vous connaissez? L’auteur de ces lignes n’en avait jamais entendu parler et pourtant, tout comme vous, il la pratique au quotidien sans même s’en rendre compte. Perdez la proprioception et vous comprendrez très vite les difficultés que vous éprouverez à vivre en société. On l’appelle aussi le sixième sens.

La danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat  - DR]La danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat – DR]La proprioception ou la perception du corps

La proprioception désigne la perception de la position des différents éléments de notre corps. En résumé, si nous parvenons à escalader une échelle ou saisir une petite cuillère, c’est grâce à cette ingénieuse combinaison de nos récepteurs musculaires et de nos centres nerveux. Les animaux en disposent également. Et il semblerait bien que les plantes aussi. Sans la proprioception, c’est simple: vous ne sentez plus votre corps.

Le rapport avec la danse? Yasmine Hugonnet explore précisément ces liens subtils entre espace et corps, mouvement actif ou passif, conscience et inconscience, articulation de la mobilité et de l’immobilité.

« La peau et l’espace » trouble parfois notre propre perception de spectateurs et spectatrices. Ainsi lorsque Yasmine Hugonnet pratique la ventriloquie tout en dansant ou qu’elle attribue des gravités différentes aux parties de son corps.

Ecouter, voir, se laisser emmener dans une sorte de voyage entre philosophie, science et poésie. « La peau de l’espace » aiguise nos perceptions du corps et du mouvement. Ce spectacle ne relève pas de la performance, ni de la démonstration. On peut le vivre comme une expérience commune et partagée en direct entre une artiste et son public. Rare et fascinant.

Thierry Sartoretti/olhor

Yasmine Hugonnet, « La peau de l’espace », Festival Les Créatives32 à Vidy-Lausanne, jusqu’au 28 novembre.

Publié le 25 novembre 2021 à 13:44

Lien: https://www.rts.ch/info/culture/spectacles/12668533-la-peau-de-lespace-fascinante-danse-parlee-de-yasmine-hugonnet.html

SEVEN WINTERS, Culturieuse

Au Théâtre de Vidy-Lausanne du 23 au 27 septembre, puis du 14 au 16 octobre au Festival d’Automne à Paris.

De hautes tentures mouchetées de nuances grises entourent un plateau nu et blanc. L’hiver est une saison sans oripeaux.

La nudité des corps inaugure donc le propos de la chorégraphe. Tout d’abord, presque semblables, deux femmes. L’une de dos, l’autre de face. Légèrement décalées, leurs postures et leurs mouvements similaires se déploient lentement, en miroir. Quatre danseuses et un danseur les rejoignent. Pareils à des arbres défeuillés, les corps dessinent un paysage. Le temps s’étire. Un silence ouaté les accompagne jusqu’à leur disparition.

A leur retour, revêtus de tenues dans les tons gris, ils ont adopté une identité socialement admise. Lentement, avec application, des groupes s’assemblent, des architectures s’ébauchent, des formes structurent l’espace. Par deux, trois, cinq, précautionneusement, ils se cherchent, s’explorent, se découvrent et finissent par se joindre. Solidaires par le toucher plus que par le regard. En fuyant, l’air qu’ils déplacent fait frémir la douce rigueur du décor.

Partagée entre nature et civilisation, yeux et bouche clos, une unique figure fredonne un sublime chant de détresse. Voyage d’hiver.

Qui dominera? Nature ou culture? Toujours avec douceur, lenteur, bienveillance, la nature guide l’être, puis les rôles s’inversent. Et soudainement, le silence est brisé. L’hiver devient sonore et la musique de Vivaldi explose! L’harmonie parait différente, pourtant rien n’a changé. Sauf peut-être, cette note écarlate.

Ensemble, alignés, à égalité, ils se découvrent à l’aveugle, en tâtonnant. Partager, échanger, se soutenir en toute réciprocité. Une farandole se déplie, serpentine, ondulante, tandis que tintinnabulent des étoiles de givre et que l’espace hivernal se rétrécit.

Il est temps alors de passer une nouvelle tenue, la robe végétale du renouveau printanier.

Cette allégorie est ma vision personnelle de la pièce. Ce qui est certain, c’est que les chorégraphies de Yasmine Hugonnet sont des poèmes visuels. Celui-ci est aussi un calligramme, les postures dessinent des mots et ces mots peignent un tableau. Il n’est pas nécessaire d’en saisir le sens, plutôt faudrait-il en ressentir l’essence.

(Photos ©Anne-Laure Lechat)

§

En Suisse, les hivers extrêmement doux avec une moyenne nationale supérieure à 0 °C sont un phénomène des 30 dernières années. En effet, depuis le début des mesures en 1864 et jusqu’en 1990, la température hivernale nationale a toujours affiché une valeur négative. Au cours des 30 dernières années, des hivers extrêmement doux se sont succédés à des intervalles de plus en plus courts. Le premier hiver avec une température nationale supérieure à 0 °C s’est manifesté en 1990.

Source : MétéoSuisse

Lien : https://culturieuse.blog/2020/09/26/seven-winters-de-yasmine-hugonnet-%C2%A7-hivers-suisses/

SEVEN WINTERS, Inferno

« SEVEN WINTERS », LA DANSE SANS ORIPEAUX DE YASMINE HUGONNET

Posted by infernolaredaction on 28 septembre 2020 · Laissez un commentaire 

Lausanne, correspondance.

«Seven Winters» de Yasmine Hugonnet – Théâtre de Vidy Lausanne du 23 au 27 septembre, puis du 14 au 16 octobre au Festival d’Automne à Paris.

De hautes tentures mouchetées de nuances grises entourent un plateau nu et blanc. L’hiver est une saison sans oripeaux.

La nudité des corps inaugure donc le propos de la chorégraphe. Tout d’abord, presque semblables, deux femmes. L’une de dos, l’autre de face. Légèrement décalées, leurs postures et leurs mouvements similaires se déploient lentement, en miroir. Quatre danseuses et un danseur les rejoignent. Pareils à des arbres défeuillés, les corps dessinent un paysage. Le temps s’étire. Un silence ouaté les accompagne jusqu’à leur disparition.

A leur retour, revêtus de tenues dans les tons gris, ils ont adopté une identité socialement admise. Lentement, avec application, des groupes s’assemblent, des architectures s’ébauchent, des formes structurent l’espace. Par deux, trois, cinq, précautionneusement, ils se cherchent, s’explorent, se découvrent et finissent par se joindre. Solidaires par le toucher plus que par le regard. En fuyant, l’air qu’ils déplacent fait frémir la douce rigueur du décor.

Partagée entre nature et civilisation, yeux et bouche clos, une unique figure fredonne un sublime chant de détresse. Voyage d’hiver.

Qui dominera? Nature ou culture? Toujours avec douceur, lenteur, bienveillance, la nature guide l’être, puis les rôles s’inversent. Et soudainement, le silence est brisé. L’hiver devient sonore et la musique de Vivaldi explose! L’harmonie parait différente, pourtant rien n’a changé. Sauf peut-être, cette note écarlate.

Ensemble, alignés, à égalité, ils se découvrent à l’aveugle, en tâtonnant. Partager, échanger, se soutenir en toute réciprocité. Une farandole se déplie, serpentine, ondulante, tandis que tintinnabulent des étoiles de givre et que l’espace hivernal se rétrécit.

Il est temps alors de passer une nouvelle tenue, la robe végétale du renouveau printanier.

Cette allégorie est ma vision personnelle. Ce qui est certain, c’est que les chorégraphies de Yasmine Hugonnet sont des poèmes visuels. Celui-ci est aussi un calligramme, les postures dessinent des mots et ces mots peignent un tableau. Il n’est pas nécessaire d’en saisir le sens, plutôt faudrait-il en ressentir l’essence.

Martine Fehlbaum,
à Lausanne

Photo Anne-Laure Lechat

Lien: https://inferno-magazine.com/2020/09/28/seven-winters-la-danse-sans-oripeaux-de-yasmine-hugonnet/

SEVEN WINTERS, La Terrasse

DANSE – AGENDA

Seven Winters de Yasmine Hugonnet

FESTIVAL D’AUTOMNE À PARIS / ATELIER DE PARIS – CDCN / CHOR. YASMINE HUGONNET

Publié le 25 septembre 2020 – N° 287

Avec Seven Winters, fresque humaine organique et sensuelle, Yasmine Hugonnet nous précipite dans un paysage hypnotique, où s’entendent les silences.

Dans Seven Winters de Yasmine Hugonnet, c’est le sept qui compte. En effet, la chorégraphe suisse part de ce nombre impair pour composer une sorte de micro-société complexe, à partir du principe de réciprocité. Car bien sûr, c’est du déséquilibre créé par le solitaire, libre, mobile et isolé, que naissent de nouveaux désirs et de nouvelles contraintes. Ainsi se noue toute la richesse du tissu humain. De l’hiver, il reste le paradoxe d’une saison où le travail de la germination est invisible mais essentiel. Car Yasmine Hugonnet, dans ses différentes pièces, s’intéresse à ce qui est en mouvement hors de la forme visible, comme la densité ou la vibration. Une façon très personnelle d’appréhender l’espace, « comme une peau », ou comme une onde que le geste du danseur viendrait troubler et enrichir d’une tension ou d’un frisson imperceptibles. Stratégies du dédoublement et intensité émotionnelle viennent compléter cette création dont la scénographie, signée Nadia Lauro, travaille vitesse et profondeur pour imaginer un dispositif permettant l’apparition et la disparition.

Agnès Izrine

Lien: https://www.journal-laterrasse.fr/seven-winters-de-yasmine-hugonnet/

SEVEN WINTERS, Le Temps

Danse avec de sacrées ombres au Théâtre de Vidy

SPECTACLES

A Lausanne, la chorégraphe vaudoise Yasmine Hugonnet a offert avec «Seven Winters» une odyssée énigmatique et entêtante, bientôt à Paris, avant Genève. La comédienne Valérie Dréville, elle, épouse les ténèbres du butô japonais dans «Danses pour une actrice»

Alexandre Demidoff

Alexandre Demidoff

Publié mercredi 30 septembre 2020 à 19:43
Modifié mercredi 30 septembre 2020 à 20:43

Comme la nuit est entêtante, quand elle remue ainsi. Voyez la danseuse vaudoise Yasmine Hugonnet, son visage qui est une serpe, son regard cloué à on ne sait quelle étoile. Autour d’elle, au cœur du Pavillon du Théâtre de Vidy, cinq femmes, un homme, nus comme au tombeau, vibrants pourtant dans un silence de sépulcre. La pièce s’appelle Seven Winters, c’est la nouvelle création de Yasmine Hugonnet, cette artiste qui, depuis un fameux Récital des postures en 2014, sublime le moindre geste en énigme.

Pause donc, à ce moment-là de Seven Winters, spectacle qui était à l’affiche jusqu’au 27 septembre à Lausanne et qui revivra en octobre au Festival d’Automne à Paris, une reconnaissance en soi. On oublie alors ces passantes à l’air absent, leur façon cérémoniale de s’accorder, d’habiter à deux la bulle de la mélancolie, de se fondre dans une temporalité cotonneuse, avant de s’égailler, à l’improviste, comme des chevreuils surpris par un loup. On oublie aussi l’envoûtement que produit ce chassé-croisé, cette nudité désarmante, ce feu pâle qui sous-tend la parade, toutes ces mains qui se rassemblent soudain en tricot, histoire de jouer l’union sacrée.

On oublie tout, parce qu’on est saisi par Yasmine Hugonnet, figée comme sur la banquise, bouche cousue toujours, mais fissurée de l’intérieur, on le devine, par un courant. Une lave, l’eau vive des larmes, un aveu qui serait une musique. Toutes ces fuites à la fois. Car voilà qu’un chant monte et c’est une confession.

Saison de glace

D’où vient-il, ce lied de Schubert, extrait du bouleversant Winterreise? De quel puits sortent-elles, ces paroles argentées de pèlerin? Du corps de l’artiste, oui, qui se met à résonner comme une crypte. On se rappelle alors qu’elle a ce talent de saltimbanque, qu’elle est ventriloque et que c’est en soi une façon de manifester que tout chante en elle, même sous la cloche de son mutisme.

La prouesse serait anecdotique si elle ne s’inscrivait pas dans une architecture subtile, celle d’une œuvre où chaque pas est une tentative de briser la glace, de reconstituer la chaîne des fraternités, de poursuivre, en cortège, un voyage en hiver. Dans sa clairière – de grandes tentures blanc cendré délimitent la chrysalide –, la chorégraphe met des figures sur cette saison de glace qui est la nôtre, celle où il n’est plus question que de gestes barrières. Et tant pis pour toutes ces embrassades, tous ces baisers à jamais volés.

La danse comme art de la présence

Comme la nuit est entêtante quand elle remue ainsi (bis). Le chorégraphe français Jérôme Bel offre à la comédienne Valérie Dréville une randonnée dans le sillage des artistes qui ont libéré au XXe siècle la danse de ses obligations mondaines, qui en ont récrit la grammaire et l’épopée, qui l’ont imposée comme un art de la présence et plus seulement une démonstration de virtuosité. A la Salle René Gonzalez, celle qui a incarné Phèdre de Racine à Vidy déjà et Médée, sous la direction du Russe Anatoli Vassiliev, se contente d’être elle-même, une terre d’aventure en soi.

Lire aussi:  Valérie Dréville, danseuse sur le fil de ses vies

Elle s’adresse à vous donc, sur la scène vaste comme une crique, meublée d’une table où patientent un iPhone et une console miniature. C’est elle qui réglera le volume de la musique, elle qui veillera au timing de chaque chapitre, comme pour signifier l’essence d’une certaine danse contemporaine: l’interprète est le sujet de son mouvement, qui est parfois le reflet de son être.

Valérie Dréville se rappelle un Monsieur Schwartz qui, dans le Pontoise de son enfance, n’était pas tendre avec la petite ballerine qu’elle était. Elle esquisse des arabesques de fortune. Dans un moment, elle s’appropriera l’esprit de spectacles qui tournent en boucle dans les mémoires, Café Müller par exemple de Pina Bausch. Sur la musique d’Henry Purcell, des doigts recouvrent un visage, une tête chavire comme sur le billot: tout est dit alors d’un chagrin sans rémission.

Ode utérine

La part de feu de cette pièce exigeante célèbre Kazuo Ôno (1906-2010), cet ex-soldat qui déclarait, à la fin des années 1950, la guerre à l’Occident et choisissait pour cela la voie du butô, c’est-à-dire des ténèbres. Valérie Dréville, magnifique, s’y engouffre et il faut voir alors sa silhouette s’enfoncer, aura balbutiante sur fond cosmique, au plus près d’une origine où plus aucun corps ne va de soi. Il fallait entendre aussi, l’autre soir, cette pluie intermittente qui a crépité à ce moment-là, comme pour accuser le caractère hallucinant de cette éclipse.

Dans ce même lieu, en 2009, l’acteur Jean-Quentin Châtelain délivrait Ode maritime, ce fantasme d’océan signé Fernando Pessoa. Le metteur en scène Claude Régy dirigeait cette odyssée sur la jetée, léchée par l’encre noire de la cruauté. Valérie Dréville, qui a beaucoup joué pour lui, a voulu aussi le saluer à travers Kazuo Ôno. Ode utérine au fond. Mais la pluie passe toujours en rafale sur le théâtre. C’est le tam-tam d’où procèdent toutes les danses.


«Danses pour une actrice», Lausanne, Théâtre de Vidy, jusqu’au 3 octobre, rens. www.vidy.ch; «Seven Winters», Genève, Salle des Eaux-Vives, du 11 au 13 décembre.

Lien: https://www.letemps.ch/culture/danse-sacrees-ombres-theatre-vidy

SEVEN WINTERS, Théâtre du blog

Seven Winters, chorégraphie de Yasmine Hugonnet

Posté dans 20 octobre, 2020 dans critiqueDanse.

©Anne-Laure Lechat

Seven Winters, chorégraphie de Yasmine Hugonnet

 D’une rare intensité, la nouvelle création de la chorégraphe suisse basée à Lausanne s’inscrit dans une recherche sur «la dissection physique de l’émotion et un travail anatomique précis sur la dimension sculpturale du mouvement ». Son Récital des postures avait reçu le Prix suisse de la danse 2017 .

 Le titre traduit l’hiver où se meuvent les danseurs (six femmes, et un homme). Les châssis grisés et le sol blanc imaginés par Nadia Lauro mettent bien en valeur leurs  gestes lents dans un silence épais traversé d’infimes vibrations orchestrées par  Michael Nick. Premier tableau : deux femmes, nues, l’une de dos, l’autre de face, dansent en miroir, comme si l’on voyait les deux versants d’un même corps. Cette gestuelle s’ancre dans le déploiement quasi-anatomique de leurs membres. On observe, fasciné, le travail subtil des muscles dans des postures longtemps suspendues qui, peu à peu, se déforment. Ce duo donne le tempo de Seven Winters : « L’apparence statique est illusoire, dit Yasmine Hugonnet. Le danseur émet sans cesse des ondes qui ont une influence sur l’espace. » Le reste de la troupe viendra peu à peu grossir les rangs, avec les mêmes mouvements hiératiques, calqués les uns sur les autres. Comme si les corps se reflétaient en d’infinis miroirs. Ce dédoublement symétrique distingue les anatomies individuelles au sein d’une réciprocité collective.  D’abord nus et espacés, les danseurs reviendront vêtus de gris,  former des structures complexes, s’appuyant les uns sur les autres, comme les éléments d’un jeu d’équilibre… Ils s’assemblent avec douceur, attentifs les uns aux autres.

 De nombreuses combinaisons se font et se défont, au rythme lent d’entrées et sorties furtives. Si un danseur quitte ses partenaires, son absence reste inscrite en creux dans les corps des autres et, quand, dans ce grand puzzle, les interprètes se réunissent par paires, il reste toujours une pièce isolée : la septième, qui tente alors de s’intégrer au groupe. Cette configuration répond à la question de Yasmine Hugonnet : «Comment être un collectif, tout en préservant l’espace individuel de chacun ?  » 

 A mesure que le temps s’écoule, la froideur va se réchauffer avec trois costumes de couleur, et quelques mesures de L’Hiver d’Antonio Vivaldi réveillera un moment les corps. Alternativement nus ou habillés, les interprètes poursuivent leur parcours dans une concentration intense qui atteint son apogée quand une danseuse s’immobilise à l’avant-scène et, en s’étirant à l’extrême, entonne d’une voix de ventriloque quelques extraits de Der Leiermann du Voyage d’hiver de Frantz Schubert Les neiges et la glace ne sont pas loin mais une belle chaîne humaine vient conclure cette chorégraphie exceptionnelle.

 Mireille Davidovici

Spectacle vu le 14 octobre à l’Atelier de Paris, route du Champ de Manœuvre, Cartoucherie de Vincennes, Paris 12e   T. 01 41 74 17 07

Lien: http://theatredublog.unblog.fr/2020/10/20/seven-winters-choregraphie-de-yasmine-hugonnet/