
Yasmine Hugonnet et Marcus Lindeen, deux explorateurs physiques et psychiques de l’être
12 SEPTEMBRE 2022/PAR CHRISTOPHE CANDONI
A Actoral puis au Festival d’Automne à Paris, le metteur en scène Marcus Lindeen et la danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet explorent l’être à travers deux propositions conceptuelles et insolites : Wild Minds qui donne la parole aux rêveurs compulsifs et La Peau de l’espace qui interroge, en théorie et en pratique, les liens entre corps et sensations.
Pénétrer l’impalpable, l’insaisissable, et tenter d’en rendre compte, c’est ce que font à leur manière Yasmine Hugonnet et Marcus Lindeen, tous les deux installés au Mucem à Marseille dans le cadre du festival Actoral avant de rejoindre le festival d’automne à Paris et sa proche banlieue. Leurs deux propositions, brèves et denses, s’offrent comme des espaces de curiosité, totalement débarrassés de ce qui fait habituellement spectacle, mais bien plutôt marqués par une économie radicale de moyens et une prédilection pour un rapport analytique à l’homme et au monde. Simplement habitées des corps et des mots, leurs pièces tendent à rendre palpable la richesse d’un espace intérieur multi-sensoriel. Dans deux dispositifs scéniques immersifs et radicalement dépouillés, auscultations physiques et psychiques sont au programme.
La danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet se lance en solo dans ce qui s’apparente à une conférence dansée qu’elle exécute en tenue d’échauffement et sans aucun apparat. Elle propose une exploration des vibrations qui animent l’intérieur du corps. Son être entier devient matière de démonstration, un support à l’étude méticuleuse et savante de notre univers multi-sensoriel. D’abord couchée, elle se met en branle comme un corps-machine aux gestes saccadés, aux postures variées, faisant d’étranges onomatopées et borborygmes, s’adonnant à la ventriloquie. Silhouette droite, puis cassée, puis renversée sur deux chaises qui se font face, elle donne l’impression de défier la gravité et repousser ses multiples possibilités. Toujours entre instabilité et immobilité, elle touche la limite de l’équilibre, et cherche à matérialiser les phénomènes qu’elle convoque comme celui de la proprioception. Suivant avec un degré absolu de maîtrise et de précision sa partition brute et bruitiste, elle livre un solo exigeant, rondement mené, qui peut subjuguer par sa solidité technique mais qui ne laisse pas suffisamment place au vacillement, au lâcher-prise et encore moins à l’émotion.
Dans Wild Minds, qui est le deuxième volet d’une Trilogie des identités, les voix de rêveurs compulsifs anonymes sont relayées par des performeurs confondus aux spectateurs assis dans un cercle de chaises comme un groupe de parole. Sur le ton un peu trop monocorde de la confession, chacun relate son expérience personnelle, à savoir une commune propension à créer des mondes imaginaires dans lesquels se réfugier et vivre comme dans un rêve éveillé, un moyen d’échapper épisodiquement à une réalité terne, banale voire même insatisfaisante et la combler par un univers inventé, peuplé de héros et de supers pouvoirs. Tout en cherchant à conjurer le réel, ce monde parallèle semble devenir aussi embarrassant qu’envahissant. C’est ce qui se raconte d’une manière assez planante voire comateuse au cours de la performance.
L’ensemble mériterait sans doute plus de développement et d’approfondissement pour constituer une matière vraiment captivante. Le metteur en scène découvert avec L’Aventure invisible, avait dans cet opus parfaitement illustré sa capacité à porter au plateau des sujets profondément questionnants, perturbants, qui révélaient la fragilité et l’ambiguïté d’individus mis à l’épreuve de la dépossession de soi et en processus de (re)construction identitaire. Documentariste et ancien homme de radio, Marcus Lindeen travaille beaucoup à partir de recherches, de rencontres, d’entretiens. Son prochain travail intitulé Orlando et Mikael, s’intéressera à deux personnes évoquant leur opération de réassignation de genre et questionnant ce choix irrévocable.