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Les Porte-Voix, Vertigo RTS

Spectacles 

Modifié le 8 décembre 2022 à 15:27

 

« Les porte-voix », de la danse à la ventriloquie

Les Porte-Voix, chorégraphie Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat - Cie Arts Mouvementés]
Les Porte-Voix / Vertigo / 6 min. / le 6 décembre 2022

A Genève, au Théâtre de Saint-Gervais, du 8 au 11 décembre, puis au Temple allemand de La Chaux-de-Fonds, la chorégraphe et danseuse Yasmine Hugonnet présente « Les porte-voix », formidable spectacle entre danse, ventriloquie, histoire et rites magiques.

Ils sont très beaux, tout doux, ces grands rochers blancs polis par la mer et le vent. Posés sur scène, ils évoquent la Grèce et le soleil. Dans « Les porte-voix », ces cailloux nous tracent un chemin jusqu’à l’Antiquité et son temple de Delphes. C’était là que vivait la Pythie, consultée par les puissants avant toute grande décision politique ou militaire.

On gravait sa demande sur une tabelle de plomb, les prêtres la transmettaient à la Pythie qui délivrait son oracle après avoir inhalé de mystérieuses fumerolles sorties des entrailles de la Terre. Sa réponse revenait énigmatique à souhait. A tel empereur qui la consultait sur le sort d’une future campagne militaire, la Pythie répondit ceci: « Si vous faites la guerre aux Perses, un grand empire sera détruit. » Lequel? Victoire ou non pour les Grecs? Mystère et boule de gomme, débrouillez-vous avec ça, la Pythie ne donnait pas de seconde réponse. La Pythie, c’était une voix. Ou plutôt deux voix. Selon certains, la première et la plus célèbre des ventriloques.

Une histoire au féminin

Tiens, ils bougent tout seuls ces rochers blancs. Et ils ressemblent furieusement à des ossements humains, mandibules ou mâchoires. Voici Yasmine Hugonnet, Mathieu Barbin, Madeleine Fournier et Ruth Childs avançant par paires. Une première voix s’élève, spectrale, étrange, comme suspendue dans le vide. On regarde la personne qui s’exprime. Les lèvres bougent, mais ce n’est pas de cette gorge que proviennent les phonèmes. Et puis, la voix semble masculine alors que le corps qui s’adresse à nous est féminin.

Le brouillage est complet. Inquiétant parfois, drôle souvent, déroutant systématiquement. Bienvenue chez les « Porte-voix », quatuor de ventriloques maniant l’art de la danse et de la parole partagée.

"Les Porte Voix" de Yasmine Hugonnet. [Anne Laure Lechat - Cie Arts Mouvementés]« Les Porte Voix » de Yasmine Hugonnet. [Anne Laure Lechat – Cie Arts Mouvementés]

Que nous racontent ces « Porte-voix »? Une histoire au féminin. Celle des femmes ventriloques, de la célèbre devineresse grecque aux miraculées visitées par l’esprit sain en passant par les sorcières vouées à la question et au bûcher. Elles n’ont pas eu d’existence sereine les femmes capables de faire jaillir une voix intérieure de leur corps. Souvent, elles ont passé pour démoniaques, folles, indociles, ambiguës ou dangereuses. Déjà qu’une femme est capable de porter plusieurs êtres vivants dans une même enveloppe corporelle, si en plus elle possède plusieurs voix, la voici menaçante pour le genre masculin.

On comprend mieux le titre de la dernière création de Yasmine Hugonnet. Ces « Porte-voix » ne sont pas que des dangereuses ventriloques, iels sont aussi porte-paroles de ces femmes oubliées, exilées ou condamnées au bûcher, faisant sortir de leur larynx des voix d’outre-tombe pour raconter leur histoire dans une sorte de sabbat salutaire.

Thierry Sartoretti/ld

« Les portes-voix », Théâtre Saint-Gervais, Genève, du 8 au 11 décembre 2022; ABC-Temple allemand, La Chaux-de-Fonds, les 23 et 24 mars 2023.

Publié le 7 décembre 2022 à 16:55 Modifié le 8 décembre 2022 à 15:27

Lien: https://www.rts.ch/info/culture/spectacles/13606301-les-portevoix-de-la-danse-a-la-ventriloquie.html

La ventriloquie, c’est aussi de la danse

Passionnantes recherches de Yasmine Hugonnet sur le corps et le mouvement. Depuis sa « Traversée des langues » en 2015, spectacle après spectacle, la chorégraphe et danseuse romande détaille les mécanismes du corps et des muscles, explore les micro-gestes, voire ce fugace point de tension précédant le geste.

Si vous aimez les grands mouvements de ballet bondissant ou les performances ultra-physiques spectaculaires, passez votre chemin. Yasmine Hugonnet met en scène le subtil, l’infime, voire l’invisible. Ainsi en va-t-il également de la voix, du chant à la ventriloquie. Avant de devenir un son, la voix naît d’un mouvement elle aussi, vibration des cordes vocales, tension des muscles du larynx. Par moment, Yasmine Hugonnet va même plus loin: elle fait danser la pensée. ts

Les Porte-Voix, Le Temps

A Genève, une nuit d’oracles avec la danseuse Yasmine Hugonnet

SCÈNES

 ABONNÉ

La chorégraphe romande sonde le mystère de la ventriloquie dans «Les Porte-Voix», pièce joliment troublée à l’affiche du Théâtre Saint-Gervais à Genève de jeudi à dimanche

Alexandre Demidoff

Alexandre Demidoff

Publié mardi 6 décembre 2022 à 20:41
Modifié mercredi 7 décembre 2022 à 08:24

Sacré Cincinnatulus! Il vous habite peut-être à votre insu. Qui ça? Un démon frisé et bavard qui jadis empruntait la bouche d’une certaine Jocaba pour se faire entendre et qui depuis personnifie la ventriloquie. Avec le temps, il a connu d’autres girons, d’autres corps ultra-sensibles. Il a ses adresses, ce diable a du goût.

La danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet est du cercle des élus. Selon l’humeur, elle permet à son Cincinnatulus de parler comme malgré elle. L’artiste romande est ventriloque. Ce don est le sujet et la matière d’une nouvelle création joliment troublée, Les Porte-Voix, au Théâtre Saint-Gervais à Genève dès jeudi, après le Théâtre de Vidy et avant La Chaux-de-Fonds au printemps.

Une pièce aboutie, donc? Oui, en grande partie, malgré le sentiment parfois d’un exercice de style appliqué, l’impression que plus concentré, le spectacle serait plus pénétrant. Yasmine Hugonnet remonte à l’origine d’une sorcellerie. Elle la documente et la fantasme à la fois. Elle sonde la source et, dans cette recherche, dévoile une anatomie insolite, fidèle à la rigueur dissidente d’un fameux Récital des postures qui la lançait en 2014.

Lire aussi: Yasmine Hugonnet ou la danse des origines

Sur scène, les danseurs Matthieu Barbin, Ruth Childs, Madeleine Fournier et Yasmine Hugonnet en personne s’extraient d’un antre préhistorique, osselets blancs géants – œuvre de Nadia Lauro – qui évoquent tout aussi bien un repaire préhistorique que l’oreille d’un titan. Ils sortent du conduit auriculaire, pull bleu encre, short sombre, pieds nus de pèlerins. Dans leurs figures extatiques passe l’éclat d’une légende.

Ecoutez-les. Il fut un temps, dit l’une, où une femme conversa avec les morts. Il fut un temps, poursuit l’autre, où cette élue surprit en elle l’esprit du python. Il fut un temps, profère encore une autre, où le python donna naissance à la pythie. Il fut un temps, disent-ils en chœur, où la parole de la pythie fut sacrée, parce qu’elle était celle des dieux.

Corps polyphonique

Ouvrir le cercle des présents aux absents. Défaire la frontière qui sépare le vivant du mort. C’est cette aventure intérieure que déploient les interprètes. Les bras levés, l’une crie et crisse comme une possédée. A un moment, des aliénés, soudain gamins, se crachent à la figure une présence obscure, comme pour la partager. A un autre, et c’est très beau, l’une pose une main sur le ventre d’une camarade, sur son flanc, sur sa nuque et en libère des voix.

Lire également: La critique de «Seven Winters», pièce de Yasmine Hugonnet en 2020

C’est la fable d’une libération et d’une affirmation: le corps est polyphonique; le sujet n’est pas univoque mais éclaté, dysharmonieux. L’épilogue donne l’enjeu de l’affaire.

Tour à tour, trois pythies en puissance se lovent dans les bras de Yasmine Hugonnet, comme pour se délester du poids d’un secret. Ces somnambules sont devenus oraculaires. Ils ont des visions qu’ils déclinent en roulant sur le sol, andante. L’un souffle qu’il aperçoit une grotte dans laquelle il n’y a plus aucune domination entre les hommes et les femmes. Ruth Childs raconte qu’elle voit un livre d’images et dans ces images, des hommes et des femmes qui en contiennent eux-mêmes d’autres. Le corps comme maison hantée.

Tout est dans cette fugue finale. Yasmine Hugonnet y formule une idée qui est son idéal de chorégraphe: aménager l’espace intérieur est son dessein, celui d’où procède sa chanson de geste. Cincinnatulus est un démon de bon conseil. Il a de belles nuits devant lui.


«Les Porte-Voix»Théâtre Saint-Gervais, Genève, du 8 au 11 décembre; Centre de culture ABC, La Chaux-de-Fonds, les 23 et 24 mars 2023.

La Peau de l’Espace, sceneweb.fr

Yasmine Hugonnet et Marcus Lindeen, deux explorateurs physiques et psychiques de l’être

12 SEPTEMBRE 2022/PAR CHRISTOPHE CANDONI

A Actoral puis au Festival d’Automne à Paris, le metteur en scène Marcus Lindeen et la danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet explorent l’être à travers deux propositions conceptuelles et insolites : Wild Minds qui donne la parole aux rêveurs compulsifs et La Peau de l’espace qui interroge, en théorie et en pratique, les liens entre corps et sensations.

Pénétrer l’impalpable, l’insaisissable, et tenter d’en rendre compte, c’est ce que font à leur manière Yasmine Hugonnet et Marcus Lindeen, tous les deux installés au Mucem à Marseille dans le cadre du festival Actoral avant de rejoindre le festival d’automne à Paris et sa proche banlieue. Leurs deux propositions, brèves et denses, s’offrent comme des espaces de curiosité, totalement débarrassés de ce qui fait habituellement spectacle, mais bien plutôt marqués par une économie radicale de moyens et une prédilection pour un rapport analytique à l’homme et au monde. Simplement habitées des corps et des mots, leurs pièces tendent à rendre palpable la richesse d’un espace intérieur multi-sensoriel. Dans deux dispositifs scéniques immersifs et radicalement dépouillés, auscultations physiques et psychiques sont au programme.

La danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet se lance en solo dans ce qui s’apparente à une conférence dansée qu’elle exécute en tenue d’échauffement et sans aucun apparat. Elle propose une exploration des vibrations qui animent l’intérieur du corps. Son être entier devient matière de démonstration, un support à l’étude méticuleuse et savante de notre univers multi-sensoriel. D’abord couchée, elle se met en branle comme un corps-machine aux gestes saccadés, aux postures variées, faisant d’étranges onomatopées et borborygmes, s’adonnant à la ventriloquie. Silhouette droite, puis cassée, puis renversée sur deux chaises qui se font face, elle donne l’impression de défier la gravité et repousser ses multiples possibilités. Toujours entre instabilité et immobilité, elle touche la limite de l’équilibre, et cherche à matérialiser les phénomènes qu’elle convoque comme celui de la proprioception. Suivant avec un degré absolu de maîtrise et de précision sa partition brute et bruitiste, elle livre un solo exigeant, rondement mené, qui peut subjuguer par sa solidité technique mais qui ne laisse pas suffisamment place au vacillement, au lâcher-prise et encore moins à l’émotion.

Dans Wild Minds, qui est le deuxième volet d’une Trilogie des identités, les voix de rêveurs compulsifs anonymes sont relayées par des performeurs confondus aux spectateurs assis dans un cercle de chaises comme un groupe de parole. Sur le ton un peu trop monocorde de la confession, chacun relate son expérience personnelle, à savoir une commune propension à créer des mondes imaginaires dans lesquels se réfugier et vivre comme dans un rêve éveillé, un moyen d’échapper épisodiquement à une réalité terne, banale voire même insatisfaisante et la combler par un univers inventé, peuplé de héros et de supers pouvoirs. Tout en cherchant à conjurer le réel, ce monde parallèle semble devenir aussi embarrassant qu’envahissant. C’est ce qui se raconte d’une manière assez planante voire comateuse au cours de la performance.

L’ensemble mériterait sans doute plus de développement et d’approfondissement pour constituer une matière vraiment captivante. Le metteur en scène découvert avec L’Aventure invisible, avait dans cet opus parfaitement illustré sa capacité à porter au plateau des sujets profondément questionnants, perturbants, qui révélaient la fragilité et l’ambiguïté d’individus mis à l’épreuve de la dépossession de soi et en processus de (re)construction identitaire. Documentariste et ancien homme de radio, Marcus Lindeen travaille beaucoup à partir de recherches, de rencontres, d’entretiens. Son prochain travail intitulé Orlando et Mikael, s’intéressera à deux personnes évoquant leur opération de réassignation de genre et questionnant ce choix irrévocable.

La Peau de l’Espace, Res Musica

DANSE FESTIVALSLA SCÈNESPECTACLES DANSE

Danse et parole à Lafayette Anticipations

Le 18 septembre 2022 par Delphine Goater et Jonathan Chanson

Le festival Échelle Humaine, qui s’inscrit depuis sa première édition en 2018 dans le cadre du Festival d’Automne, a proposé sur les différents niveaux de Lafayette Anticipations des performances et des solos liant intimement le mouvement et la voix, le geste et le discours.

Yasmine Hugonnet : La Peau de l’Espace

Yasmine Hugonnet a interprété, dans le cocon aménagé du second étage de Lafayette Anticipations, une pièce intime et sensible aux inspirations multiples et parfois décousues. Le public est placé en L et dessine deux côtés d’un rectangle dans lequel Yasmine Hugonnet va évoluer durant quarante-cinq minutes tout au long d’une performance qui emprunte tout autant au cartoon qu’à l’expressionnisme, au discours scientifique, à l’expérience délicate du corps, à la recherche philosophique, à la performance kinésiologique jusqu’à la ventriloquie. Tout un éventail de concepts sont ici abordés. La chorégraphe entame dans une première partie une danse qui mêle son souffle, amplifié ici par un micro, et ses mouvements, à la manière de la recherche de Boris Charmatz dans son dernier solo, Somnole, l’année dernière à l’Église Saint-Eustache. Quel mouvement provoque le souffle ou quelle respiration le mouvement induit-il ? Qu’est ce qui se place entre ces manifestations pourtant en fusion ? Dès la première partie de « La Peau de l’Espace », la danseuse nous emmène dans l’expérience vivante de cette peau fine qui sépare, tout en créant un lien d’interaction, les éléments vitaux de nos vies biologiques et intelligibles.

La seconde partie de la performance de Yasmine Hugonnet propose au spectateur d’assister à une danse au ralenti, guidée par un discours dont on peine à tirer un développement, une cohérence dramaturgique. Si le souffle manifestait avec force son impact sur le corps, ici la voix se fait monocorde et le corps ne semble plus guidé que par l’aura construite des références positivistes convoquées pour assoir un cheminement déconcertant. Certains metteurs en scène, dans le monde du théâtre, ont tenté, avec plus ou moins de succès, l’expérience du corps à la lumière des sciences, Claude Régy et Gildas Milin en tête.

De ces deux parties, sifflées et racontées, calmes et mouvementées, on ressort néanmoins convaincus que Yasmine Hugonnet a réussi le pari du sensible, de l’attention portée au toucher, à ces espaces invisibles qui lient nos existences et leurs intimités. Portée par son expérience de la scène et par un bagage inspirant, la chorégraphe nous embarque dans l’expérience du mouvement et de sa fragilité. (JC)

Les Porte-Voix, Lausanne-Cités

LOISIRS 29.10.2022 – 09:27 Rédigé par Rédaction

Yasmine Hugonnet explore avec malice son histoire dans un cabaret ventriloque et dansé, intitulé «Les Porte-Voix».

VENTRILOQUIE • Tour à tour oracle et possédée, poète spirite ou magicienne fascinante, le ventriloque, littéralement la voix du ventre, impressionne. Yasmine Hugonnet explore avec malice son histoire dans un cabaret ventriloque et dansé, intitulé «Les Porte-Voix». Les quatre interprètes évoluent dans un espace poétique et ouvert, créé par l’artiste scénographe Nadia Lauro. Le projet se construit autour de multiples scènes, dansées, parlées et chantées, des espaces de solitude ou de chœur.

L’oralité des Porte-Voix naît à la croisée des langages physiques et verbaux. Elle (dé)joue le rapport entre une chose et son nom, un geste et un mot qui créent peut-être une nouvelle image. La question est finalement: quelle place avons-nous pour nous laisser surprendre, pour inviter en nous de nouvelles images? Le projet s’intéresse à l’imaginaire et aux mythes et à ce qu’ils véhiculent. Et la ventriloquie permet de mettre en jeu, sur scène, cette danse de nos perceptions que nous pouvons remettre en mouvement.

Du 9 au 13 novembre, Théâtre de Vidy, Lausanne. www.vidy.ch

https://lausannecites.ch/au-theatre-de-vidy-des-createurs-de-nouvelles-images

Les Porte-Voix, Les Inrockuptibles

Lausanne : trois créations théâtrales à suivre de Yasmine Hugonnet, Philippe Saire et Steven Cohen

par Patrick Sourd

Publié le 14 novembre 2022 à 12h49
Mis à jour le 14 novembre 2022 à 13h47

Rentrée créative à Lausanne avec trois spectacles où s’affirment les démarches de créateur·rices aussi différent·es et singulier·es que Yasmine Hugonnet, Philippe Saire et Steven Cohen.

Les Porte-Voix de Yasmine Hugonnet

Avec Les Porte-Voix, la chorégraphe Yasmine Hugonnet propose un cabaret ventriloque dans la salle Pavillon du théâtre de Vidy. Sur scène, les quatre interprètes évoluent entre les sculptures patinées d’un ossuaire géant et mouvant. La scénographie de Nadia Lauro évoque les formes stylisées d’un crâne, d’une série d’os et d’une mandibule. L’espace s’accorde à l’ambition de se lancer dans une archéologie des rapports entre la voix et le corps. Proposant un retour aux sources de la ventriloquie, le spectacle rappelle l’usage qu’en faisait la Pythie de Delphes pour prédire l’avenir. La pièce témoigne d’une pensée proliférante, ouvrant son propos à la place de la parole des femmes dans l’histoire comme la préhistoire.

Les Porte-Voix, chorégraphie et conception Yasmine Hugonnet. Du 8 au 11 décembre, Théâtre St-Gervais, Genève (Suisse). Les 14 et 15 mars 2023, Biennale de danse du Val de Marne, Atelier de Paris

Les Porte-Voix, Culturieuse

« LES PORTE-VOIX » YASMINE HUGONNET

Au Théâtre de Vidy du 9 au 13 novembre 2022

Avec Matthieu Barbin, Ruth Childs, Madeleine Fournier, Yasmine Hugonnet.

10 novembre 2022

Photo © Anne-Laure Lechat

Un vase, une outre, un récipient, un panier… Tels les corps des femmes, d’où résonnent leurs voix et se déverse le langage.

Ce cabaret ventriloque (sous-titre du spectacle) est un récit enrichi, vocal et chorégraphique, des origines de la ventriloquie. Y est démontré le talent et l’art antique de l’articulation d’une voix différente de celle pratiquée d’ordinaire: sans bouger les lèvres, semblant prendre source dans le ventre même de la personne qui la pratique. Une illusion d’où naîtrait une langue spécifique, précise la chorégraphe. L’habileté des quatre artistes est telle qu’iels vont jusqu’à chanter, grogner, crier, murmurer, tout se mouvant en une subtile chorégraphie (au cordeau!). Alors langages corporels et vocaux se mêlent, brouillant leurs origines et entrelaçant leurs substances, où gestes, postures et voix se rencontrent.

Les récits se succèdent, étonnants et drôles, teintés de magie ou de sorcellerie. La Pythie est possédée par d’étranges vapeurs, les vocalises se font gutturales, rocailleuses tandis que les corps s’agitent. Une voix d’enfant dans un lieu millénaire fait surgir une paléontologue qui déglingue le mythe du chasseur de mammouth. Nos esprits et nos grottes en sont atteints. Où donc est-elle celle qui cueille et récolte et ramène, celle qui célèbre l’histoire vivante et non tueuse?

L’unisson d’une mélodie chantée en choeur rassemble et porte la voix collective, pour autant chaque parole est formulée et entendue dans cette langue ventriloque où ce qui est dit l’est par/pour un.e autre. Les postures sont doublées de même, induisant un effet miroir et échoïque.

La remarquable scénographie de Nadia Lauro évoque un univers minéral et d’une pureté absolue. Ce pourrait être la caverne autant que le reliquat d’un ossuaire préhistorique. Ces quelques structures sont déplacées imperceptiblement durant la pièce sans qu’on ne le réalise tout à fait. Et l’espace se module à notre insu, à l’image de ces voix impalpables et pourtant sonores.

Dans la droite ligne de ses recherches et de ses pièces précédentes, Yasmine Hugonnet poursuit son travail minutieux sur la perception. Elle est lauréate du Label + romand avec son projet Les Porte-Voix.

Quelle belle image que cette Gaïa tenant l’humain dans ses bras, l’écoutant attentivement, puis le laissant rouler au loin. L’humain qui en contient d’autres, ce contenant qui a toujours de la place à l’intérieur.

YASMINE HUGONNET « Les Porte-Voix » // TEASER from Théâtre Vidy-Lausanne on Vimeo.

https://culturieuse.blog/2022/11/10/les-porte-voix-yasmine-hugonnet/

Les Porte-Voix, La Liberté

Portrait: les mots cachés de Yasmine Hugonnet

ARTS DANSE

Année riche pour la chorégraphe vaudoise Yasmine Hugonnet qui reçoit un Prix suisse de danse 2022 et crée à Vidy Les porte-voix

Il y a du dynamisme chez Yasmine Hugonnet, qui avoue avoir beaucoup voyagé et avoir tiré de ses pérégrinations un bel enseignement. © Anne-Laure Lechat

Ghania Adamo

Publié le 4 novembre 2022

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Portrait » On s’était demandé ce que pouvait bien signifier La peau de lespace, pièce chorégraphique que Yasmine Hugonnet créait et interprétait en 2021. Avant d’aller voir ce spectacle au titre cosmique, on imaginait donc une réflexion sur l’au-delà, dans le meilleur des cas; et dans le pire, un propos boursouflé sur la détérioration de la couche d’ozone et sur le changement climatique. Surprise: rien de tout cela dans ce solo, aussi atypique qu’envoûtant, pour lequel la danseuse et chorégraphe vaudoise recevait le 21 octobre dernier un Prix suisse de danse 2022. «La peau» du titre est la sienne, la nôtre, celle qui frôle l’air, ou si l’on préfère l’espace vide, lorsque nous nous déplaçons ou gesticulons. Vous y pensez, vous, à chacun de vos mouvements? Moi, pas. Pour rendre donc ce frôlement tangible, Yasmine Hugonnet va le commenter avec des mots, l’expliquer. Son solo dansé est parlant. Elle y raconte, entre autres, l’expérience de l’astronaute américain Musgrave, dont le corps flotte dans l’espace. L’homme a l’impression qu’il n’existe plus, et cela lui procure une immense sensation de liberté.

Vous y pensez, vous, à chacun de vos mouvements? Moi, pas

Chagall, qui n’était pas astronaute, avait depuis longtemps compris la fascination que peut exercer sur le public des corps en apesanteur. Et Yasmine Hugonnet, qui n’est pas Chagall, sait néanmoins que la danse est une question de postures. Elle a d’ailleurs consacré à celles-ci un récital (Le Récital des postures, 2014). Seule en scène là aussi, elle pliait et dépliait son corps, réservoir de vibrations qui, tel un instrument de musique, libérait dans l’espace ses mouvements.

Un coup violent

«Arts mouvementés» s’appelle sa compagnie. On pourrait y ajouter «pensées mouvementées», tant la réflexion de Yasmine Hugonnet est dense. Un déferlement d’idées maîtrisé par des chorégraphies à l’architecture soignée. On peut s’amuser à réunir en une phrase quelques titres de ses pièces, reflet d’un appétit robuste et délicat à la fois: faire La traversée des langues, c’est écouter Les porte-voix, c’est Se sentir vivant… Il y a du dynamisme chez celle qui avoue avoir beaucoup voyagé et avoir tiré de ses pérégrinations un bel enseignement. Dans le désordre: les Etats-Unis, les Pays-Bas, l’Afrique, Taïwan et Paris bien sûr, passage obligé pour une artiste francophone si elle a envie de rayonner. Au Conservatoire national supérieur en danse contemporaine, elle entre donc à la fin des années 90. Trois ans de formation, un 3e prix de danse mais pas de diplôme.

«J’ai été éjectée parce que j’avais fait un pas hors du Conservatoire, par besoin de création. J’ai monté une pièce et l’on m’a dit: tu as voulu fonctionner sans l’institution, eh bien, tu vas continuer sans elle! J’ai donc perdu des possibilités de perfectionnement. Le coup était violent, mais il a stimulé mon envie d’indépendance. Je suis partie à Taïwan, j’avais un projet, j’ai fini par travailler là-bas avec des non-voyants», confie-t-elle.

Une expérience intéressante et une période riche en projets, avec la création, en ce début des années 2000, du collectif Synalèphe. «Je l’ai fondé avec un ami. Nous avions à ce moment-là un credo: monter des pièces dans divers pays en travaillant avec les populations locales. Nous voulions un rapport différent aux gens, à la création, des échanges interculturels plus solides.» Prendre du temps dans chaque pays, éviter la névrose des tournées! «Nos proches s’inquiétaient. Mais vous êtes fous, nous disait-on, vous allez vous perdre, plus personne ne croira en vous!»

Les porte-voix. Anne-Laure Lechat

Pas une sorcière…

Les pronostics se sont révélés faux. L’audace a donné de beaux fruits. «A force de travailler dans différentes ambiances et contextes, j’ai acquis un certain savoir qui m’aide encore aujourd’hui», dit-elle. Des cours de philosophie et d’art, suivis par correspondance, ont sans doute étoffé la curiosité de la chorégraphe. Un horizon élargi, ouvrant parfois sur des phénomènes étranges. La ventriloquie par exemple, sujet de sa prochaine création au Théâtre de Vidy, Les porte-voix. «J’ai déjà utilisé ce mode d’expression dans d’autres spectacles, dont Chro no lo gi cal. Mais dans cette nouvelle pièce, je m’intéresse à l’histoire de la ventriloquie, à son évolution.» Sur scène, quatre danseurs-interprètes, dont elle-même. «Parler dans un corps visiblement muet est une énigme. Autrefois, les gens pensaient que les ventriloques portaient en eux un démon, les femmes ventriloques étaient d’ailleurs traitées de sorcières.»

«A force de travailler dans différentes ambiances et contextes, j’ai acquis un certain savoir qui m’aide encore aujourd’hui»
Yasmine Hugonnet

Paroles avalées, voix cachées. Les origines de la ventriloquie remontent à l’Antiquité grecque et aux oracles de la tragédie. Tout un théâtre! Yasmine Hugonnet, qui n’a rien d’une sorcière, pratique cette expression atypique depuis quelque temps déjà. Elle a commencé avec sa fille quand celle-ci a prononcé ses premiers mots. «Je l’imitais en produisant des sons en moi», lâche-t-elle.

Les porte-voix, Théâtre de Vidy-Lausanne, du 9 au 13 novembre, puis tournée romande

https://www.laliberte.ch/news/culture/theatre-danse/portrait-les-mots-caches-de-yasmine-hugonnet-665909

CHRO NO LO GI CAL, 24 HEURES

16 novembre 2018, Corinne Jaquiéry

Au cœur de la respiration vitale de Yasmine Hugonnet

Avec «Chro no lo gi cal», son dernier spectacle présenté au Théâtre de Vidy, la chorégraphe vaudoise poursuit son exploration d’un mystérieux corps intérieur.

Corinne Jaquiéry

Publié: 16.11.2018, 14h22

Parfois le temps semble s'étirer jusqu'à la rupture tant les mouvements s'articulent avec lenteur.
Parfois le temps semble s’étirer jusqu’à la rupture tant les mouvements s’articulent avec lenteur.DR/ANNE-LAURE LECHAT

C’est d’abord comme un bourdonnement lointain, puis un om profond, le son de l’Univers. Il semble provenir de partout et de nulle part malgré la présence hiératique de trois femmes dont les bras jouent les sémaphores. Yasmine Hugonnet, Ruth Childs et Audrey Gaisan Doncel, droites comme des i, visage figé et bouche fermée, sont en train d’écrire, en habiles ventriloques, la partition d’un étrange concert choréo-graphico-musical.

Une fascination s’exerce

Au fil des sons, gazouillis enfantins, onomatopées gutturales ou monologue indistinct, chaque corps vibre, s’étire vers le ciel et s’évase. Les bruits qui s’en échappent rythment les différentes postures, ou est-ce le contraire? La fascination s’exerce, même si parfois le temps semble s’étirer jusqu’à la rupture tant les mouvements s’articulent avec lenteur.

Et quand, après une respiration spectaculaire, les danseuses reviennent, l’une nue (Ruth Childs), les autres revêtues de robes Renaissance à collerette, on ne peut s’empêcher de penser au tableau de cet auteur inconnu de l’École de Fontainebleau, peint autour de 1594, où l’on voit Julienne d’Estrées, nue au côté de sa sœur Gabrielle dont elle pince le téton. L’objet d’un mystère et de questionnement infini… C’est aussi celui du spectateur de «Chro no lo gi cal» qui s’interroge devant l’irruption du XVIe siècle au cœur d’une dramaturgie très contemporaine. Marquage temporel inattendu, il symbolise une traversée du temps, comme la traversée des langues qu’avait entreprise Yasmine Hugonnet dans un précédent solo. C’est d’ailleurs elle qui, étendue nue sur le sol, ponctuera d’un trait blanc final cette étonnante écriture corporelle et sonore perpétuée jusqu’à la diffraction phonétique avec ses deux complices.

Une artiste radicale

Parfois rebutant par son austérité et quelques errements, «Chro no lo gi cal» ne peut laisser indifférent tant est forte la sensation de participer à une exploration chorégraphique hors du commun.

Depuis son solo «Le récital des postures», récompensé par le Prix suisse de création actuelle 2017, la chorégraphe vaudoise de 39 ans ne cesse de surprendre en emmenant les spectateurs dans ses voyages intérieurs, au cœur même de la respiration vitale. Pour «Chro no lo gi cal», elle s’est intéressée à tous ses microscopiques mouvements nécessaires à la réalisation d’un geste, «ces suites chronologiques d’actes invisibles». Pour elle, l’art créatif est à cet endroit-là: connaître les étayages articulaires et les chronologies motrices qui composent le geste, pour pouvoir jouer avec, les contredire, en débrayer le cours ou la vitesse, et écouter comment elles l’engagent émotionnellement.

Considérée aujourd’hui, en Suisse et à l’étranger, comme une des artistes les plus intéressantes et radicales du moment, Yasmine Hugonnet suit une ligne exigeante où l’extrême connaissance de soi ouvre les perceptions de tous vers l’humanité originelle. «Chro no lo gi cal» est à voir ou revoir dans le cadre du Festival Programme commun, à Lausanne, du 27 mars au 7 avril 2019.

Lien article: https://www.24heures.ch/au-cur-de-la-respiration-vitale-de-yasmine-hugonnet-446511033707

CHRO NO LO GI CAL, RTS

7 mai 2019, Thierry Sartoretti

Yasmine Hugonnet, la danse du temps suspendu

Yasmine Hugonnet. [BAK - Grégory Batardon]
Yasmine Hugonnet, chronologie dʹune danse / Nectar / 25 min. / le 6 mai 2019

Du 15 au 28 mai, l’Association Danse Neuchâtel (ADN) offre un festival à la danseuse et chorégraphe romande Yasmine Hugonnet. L’occasion de découvrir une danse qui ajoute la parole ventriloque au geste.

Trois femmes. Trois danseuses face à nous. Les jambes sont immobiles, le torse droit, la tête comme fichée sur les épaules. Raides et affirmées comme des i majuscules. Mais voici que leurs bras se mettent à bouger. Des métronomes? Des sémaphores?  Plutôt des pendules ou des aiguilles de montre puisque ce spectacle se nomme « Chro-no-lo-gi-cal ».

Toutefois, ce qui frappe le public, ce n’est pas ce mouvement mécanique, c’est le son. Il semble sortir de nulle part, flotter dans les airs, tourner dans la salle comme une nappe de brume. Les danseuses nous parlent. Elles chantent. Sans que leurs lèvres n’esquissent le moindre mouvement. Ruth Childs, Audrey Gaisan Doncel et Yasmine Hugonnet forment un trio de ventriloques.

"Chro-no-lo-gi-cal" de Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat - yasminehugonnet.com]« Chro-no-lo-gi-cal » de Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat – yasminehugonnet.com]

Un spectacle déroutant

"Chro-no-lo-gi-cal" de Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat - yasminehugonnet.com]« Chro-no-lo-gi-cal » de Yasmine Hugonnet. [Anne-Laure Lechat – yasminehugonnet.com]Dans le public, la tension est palpable. Il y a de la fascination devant l’étrangeté. De la gêne aussi, manifestée par quelques rires incontrôlés. « Chro-no-lo-gi-cal » déroute. Une phrase à prendre à la lettre. Ce spectacle quitte les chemins usuels de la danse pour nous emmener sur un terrain inédit.

Il y a de la poésie sonore et de la musique contemporaine dans cette manière de varier à l’infini un même motif sonore, de tisser un tapis de sons formés notamment par les syllabes du titre de ce spectacle. Alors, cette nouvelle création de la danseuse et chorégraphe Yasmine Hugonnet: spectacle de danse sonore ou concert de musique en mouvements? On ne tranche pas. La créature est hybride et c’est bien ainsi.

Le corps en mouvement

Depuis 2017 et son « Récital des postures », Yasmine Hugonnet mène entre la Suisse romande et Paris une carrière aussi singulière qu’internationale. Singulière car elle redonne à voir le corps et l’essence même du geste dans ces créations qui invitent la lenteur, la suspension du mouvement, la nudité et la parole.

Rien de provocant dans cette démarche pensée et vécue comme un retour aux fondamentaux des arts de la scène: la danse, c’est un corps en mouvement. Essayons, ensemble, de le regarder à nouveau, suggère la danseuse. Dans toute sa simplicité et son essence première. L’intérêt international est d’autant plus marqué que Yasmine Hugonnet peut aisément rejoindre des programmations de danse comme des festivals de mime, des manifestations d’art plastique et désormais des festivals de musique contemporaine.

Le son est vibration

La danse de Yasmine Hugonnet s’imprègne de philosophie, d’anatomie, de recherche spirituelle. Elle convoque les anciens, Lucrèce ou Dante. Ses propositions tiennent de l’expérience commune pour les interprètes comme pour les spectateurs. En y ajoutant la parole ventriloque, elle rappelle aussi que le son est vibration, mouvement et que la danse est affaire d’extérieur comme d’intérieur. Là, tout au fond du larynx des trois danseuses de « Chro-no-lo-gi-cal », des cordes vocales dansent un ronde à la gloire du temps qui passe.

Thierry Sartoretti/mh

Zoom Yasmine Hugonnet à Neuchâtel dans le cadre de la saison « Hiver de danses » de l’ADN.

  • Le 15 mai, extraits du spectacle « Se sentir vivant » au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.
  • Le 20 mai, atelier public intitulé « Le Temps – le Vivant » au Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel.
  • Le 22 mai, spectacle « Le Récital des postures » au Temple allemand de La Chaux-de-Fonds.
  • Le 28 mai, spectacle « Chro-no-lo-gi-cal » au TPR de la Chaux-de-Fonds.

« Chro-no-lo-gical » sera également à l’automne à l’affiche du TLH-Sierre et de l’ADC de Genève.

Publié le 7 mai 2019 à 09:42 Modifié le 7 mai 2019 à 09:44

Lien article: https://www.rts.ch/info/culture/spectacles/10415959-yasmine-hugonnet-la-danse-du-temps-suspendu.html